Academie des Sciences et Lettres de Montpellier

Charles PREVOST (23-8-1870 | 23-6-1947)

Section : Lettres - Siège : XIX
Chanoine - Créateur et directeur de l'Enclos Saint-François
Elu(e) à l'Académie en 1936. Départ en 1947.
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Extrait d'un article du Journal "Le point " du 28/11/2013 et signé Aurélie Jacques 

     Né à Montpellier dans une famille d'industriels, Charles Prévost devient, après le décès de sa soeur, l'unique dépositaire de la fortune parentale. Avocat à Montpellier, où il mène une vie mondaine, il connaît à l'âge de 28 ans une vocation tardive et entre au séminaire Saint-Sulpice à Paris. De quoi faire causer en ville, où la rumeur voulait que l'homme du monde eût pris l'habit à cause d'une déception sentimentale ; laquelle lui aurait été infligée par une belle Américaine qui, en guise de consolation, l'aurait fait profiter de sa richesse. "Le roman de l'Américaine ou toute autre histoire ne sont qu'inventions sans aucune base", écrira avant de mourir le père. De manière plus certaine, il aurait bénéficié de dons anonymes pour ses acquisitions et réalisations. Et elles furent nombreuses. Après son ordination, et à la demande de l'archevêque Mgr de Cabrières, le père Prévost reprend un orphelinat déficitaire. De ses deniers, il rachète les biens sis sur l'ancien chemin de Castelnau, redynamise la maison des apprentis qui apprenaient aux orphelins l'horticulture, la ferronnerie ou l'ébénisterie, et étend ses acquisitions, jusqu'à l'avenue Saint-Lazare. Le prêtre se retrouve ainsi propriétaire d'un domaine de pas moins de 13 hectares à proximité du centre-ville, où il fait construire dans les règles de l'art une chapelle néogothique, ainsi qu'un "collège" (terme englobant alors nos écoles, collèges et lycées)." Pour moi, c'était l'un des plus beaux de France, se souvient Michel Galabru, originaire d'Avène, qui y était pensionnaire au moment du départ de son père, ingénieur des Ponts et Chaussées, pour Madagascar. Il y avait un bassin avec un jet d'eau lumineux et des cygnes, mais aussi des paons, des biches. C'était presque un zoo."

     La structure accueille alors les fils de la bourgeoisie locale et régionale, ainsi que, selon Nicolas Giraud, "les meilleurs élèves de l'orphelinat et des enfants modestes, les plus aisés payant pour les autres". Parmi ces collégiens, on trouve Roland Faure, ex-PDG de Radio France, le poète Frédéric Jacques Temple ou encore Vincent Bioulès. Le peintre - exposé dans les collections permanentes du musée Fabre - y est même né, son père, Jean Bioulès, ayant été professeur de musique et maître de chapelle à l'Enclos. "C'est grâce à l'abbé Prévost que, élevé à l'orphelinat, il avait pu devenir musicien en faisant ses études à la Schola Cantorum à Paris", témoigne l'artiste, qui garde un souvenir vif du "père", comme ses élèves l'appelaient : "Du monde où il avait vécu en qualité d'avocat, il avait emporté le goût inné de la liberté et de la beauté. Il considérait que la musique, la peinture, les voyages formaient la jeunesse sans doute infiniment mieux que les études. Certains de ses professeurs n'étaient pas tout à fait d'accord, mais c'est à leur barbe qu'entrant brusquement dans une classe il désignait tel ou tel d'entre nous pour aller visiter une ville d'Italie. On trouverait aujourd'hui une telle attitude scandaleuse, lui n'en avait cure." Emmenant tour à tour ses élèves en Suisse, en Italie ou en Corse, le père organise avant l'heure des classes de neige à Chamonix ou de mer à Palavas-les-Flots, où il avait acquis des biens.

     Une "grande personnalité", témoigne de son côté Michel Galabru : "Il était très intelligent et avait une distinction naturelle qui évoquait les abbés de cour du XVIIIe siècle. Mais il faisait peur à l'enfant que j'étais : il était très sévère, en tout cas avec les cancres comme moi." A l'occasion des cinquante ans de la mort de l'abbé en 1997, l'ancien élève et professeur de médecine Antoine Bories-Azeau relatait dans un discours en forme d'hommage : "La discipline était stricte, mais les sanctions excluaient toute passivité : aux stupides arrêts de rigueur pendant les récréations le père préférait les travaux forcés du jardin, qui, selon les mauvais esprits, assuraient au meilleur compte la propreté du parc."

     Sur la façade du collège, on peut lire la devise "Ora, canta, stude" ("Prie, chante et étudie"). Elle renseigne sur la place que le père Prévost accordait à l'art. Dans une écurie désaffectée, il avait créé la "salle Bleue", un grand théâtre aux rideaux et aux chaises azur où jouaient des comédiens parfois prestigieux. "J'y ai vu "Le Cid" par la Comédie-Française et les clowns du cirque Medrano", se souvient Michel Galabru, qui y a lui-même joué "L'anglais tel qu'on le parle", de Tristan Bernard, à une époque où il voulait être... footballeur professionnel.

     Quant à Jean Bioulès, il donna des concerts, dont la première du "Roi David", d'Arthur Honegger. "Entre les deux guerres, l'Enclos était devenu un pôle culturel de premier ordre", résume Vincent Bioulès.

     Au cours de la guerre de 1939-1945, le site devient le décor d'une scène autrement plus dramatique avec l'entrée d'un autre personnage : Sabine Zlatin, plus connue sous le surnom de "Dame d'Izieu". Cette résistante juive d'origine polonaise s'était consacrée au sauvetage d'enfants juifs en les plaçant auprès d'hébergeurs clandestins. A sa demande, le père Prévost cacha certains d'entre eux et ce, "malgré la présence à seulement 500 mètres de la Gestapo, fait remarquer Nicolas Giraud. Puis le père conseilla à Sabine Zlatin de se réfugier avec les petits dans sa villa de Palavas". Restée un temps sur le littoral, dans un lieu tenu à l'abri de tout soupçon pendant la saison hivernale, la jeune femme repart pour Izieu (Ain), où elle crée avec son mari, Miron Zlatin, une "colonie d'enfants réfugiés" afin de les protéger. Mais, sentant la menace croître, elle reprend le chemin de Montpellier pour demander à l'abbé de récupérer les enfants. Le temps de cet aller-retour, ils seront raflés et déportés. Dans sa déposition au procès Barbie, Sabine Zlatin évoquera le père Prévost, qu'elle dépeindra plus tard dans une lettre adressée à son successeur, le prêtre Robert Pin, comme "l'image de la bonté et du courage".

     Avec l'archevêché, le père Prévost n'eut en revanche pas toujours de bons rapports, notamment après le départ de Mgr de Cabrières. "Son successeur, Mgr Mignen, prit-il ombrage de l'influence grandissante de l'Enclos ? questionne Nicolas Giraud. Sa réussite exceptionnelle suscitait les jalousies. " Les détracteurs de l'abbé lui reprochaient " un comportement régalien", relatait Antoine Bories-Azeau. Chose étrange pour un prêtre, Charles Prévost ne légua ses biens pas plus à l'Etat qu'à l'Eglise. La société anonyme qu'il créa perdure aujourd'hui, moyennant une restructuration de son patrimoine en vue de restaurations. "La société est laïque et à but non lucratif", précise son président, Nicolas Giraud, qui indique que le lycée, présent jusqu'à peu, a connu des fortunes diverses. "Si nous n'avons plus les moyens de continuer l'oeuvre du père Prévost, nous voulons faire perdurer l'esprit du lieu sur le plan artistique et ouvrons l'Enclos ponctuellement au public."

      Esthète et amateur d'art, le père Prévost considérait que le beau portait à la prière et à l'étude. Aussi ne lésina-t-il pas sur le choix des matériaux lorsqu'il s'agit d'ériger une chapelle. Construit entre 1909 et 1913, le bâtiment, d'une " parfaite maîtrise d'exécution ", selon Jean Nougaret, conservateur des antiquités et objets d'art de l'Hérault, fut édifié en pierre de Castries. Les cloches avaient été commandées à la fonderie Paccard à Annecy et l'orgue, d'origine allemande, remonté par un prestigieux organiste de Lodève. Quant aux vitraux, reproduisant le bleu de Chartres, ils furent signés du maître-verrier parisien Félix Gaudin." C'est en contemplant les peintures et les vitraux, tout en écoutant une messe de Palestrina, que je décidai de devenir peintre ", témoigne Vincent Bioulès. Classée à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques, la chapelle est le dernier exemple d'église néogothique à Montpellier.

 

Précision sur les liens entre l’abbé Prévost et les enfants d’Izieu :

     Le Père Prévost joua un rôle pendant la guerre dans la protection des enfants juifs avec le soutien de l’Oeuvre de Secours aux enfants (OSE) et celle de diverses personnalités, dont le Préfet de l’Hérault qui leur faisait distribuer des certificats d’hébergement comme s’il s’agissait de réfugiés non juifs. Les enfants, exfiltrés de camps d’internement, transitaient par Palavas puis étaient dispersés. Dix-sept d’entre eux ont été ensuite envoyés au château de Campestre (Lodève) dont le père Prévost connaissait la position excentrée et l’accès discret. En effet, la demeure avait appartenu à sa famille. Les enfants ont séjourné là de novembre 42 à avril 43. Mais les Allemands ont envahi la zone sud de la France au même moment, c’est-à-dire novembre 1942. Il a donc été jugé plus sage d’emmener rapidement les enfants à Izieu près de Chambéry. En effet, c’était dans la zone d’occupation italienne où les juifs étaient à peu près en sécurité. Le transfert a été organisé par Sabine Zlatin, juive d’origine polonaise (1907-1996) qui est maintenant honorée comme elle le mérite pour son action en faveur des enfants juifs pendant la guerre. Des rues, un collège, portent son nom et un film a retracé sa vie. Mais, après la capitulation de l’Italie le 3 septembre 1943, la Wehrmacht, pour ne pas laisser une région française hors contrôle, a occupé les départements antérieurement sous autorité italienne. Le 6 avril 1944, Klaus Barbie s’appuyant sur une dénonciation faite par un français, a pu s’emparer, à Izieu, de 44 de ces enfants qui ont été déportés puis gazés à Auschwitz dès leur arrivée. Le plus jeune avait 4 ans !

     Une plaque a été installée sur le mur de Campestre, à côté du portail d’entrée.

JP et MF L-V

 

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